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Témoignage #1 : Comment retrouver de l’humanité pour faire son deuil ?

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Témoignage #1 : Comment retrouver de l’humanité pour faire son deuil ?

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Tout comme les collègues du secteur du médical, les travailleurs sociaux sont eux aussi en première ligne dans cette crise du covid-19 . Nous savons que les établissements médico-sociaux qui accueillent des publics vulnérables se retrouvent souvent dans des situations délicates quant à l’accompagnement de ces publics. Le M.A.I.S souhaite donc vous exprimer tout son soutien dans cette crise et vous enjoindre à prendre soin de vous, de vos collègues et de vos proches.
Afin de vous donner une voix et un espace d’expression, à vous, professionnels du terrain en ces temps compliqués, nous vous invitons à nous envoyer vos témoignages que nous relaierons sur nos différents réseaux. Racontez-nous votre quotidien et la conséquence de cette crise sur votre travail, les moyens dont vous disposez et ce que vous avez réussi à inventer pour continuer à fonctionner.

 

Témoignage #1 : COVID  oblige, lors d'un décès, pas de rituel ni de possibilité de se recueillir comme on le ferait en temps normal... comment retrouver de l’humanité pour faire son deuil.... et aider les autres résidents, professionnels et famille ?

Samedi 28 Mars 2020

Adieu Léna, on se souvient de toi.

Pour Pierrette, Pierre, Danièle et Danièle , Irène, Alain, Jean-Paul, Patricia, Guy, Alfonso et les autres… Les pionniers des foyers qui ont partagé les premières années de vie en foyers communautaires, Léna, tu travaillais avec eux à l’ESAT de Champigny et rentrais tous les soirs à l’Hôpital de la Queue en brie…

Oiseau sauvage, énigmatique à toute heure, de ton air de ne pas t’intéresser alors  qu’en fait rien ne t’échappe, avec ton sourire mystérieux, tes grands yeux bleus malicieux qui regardaient là-haut dans les étoiles… et ton langage à toi : « j’irais pisser dans les étoiles…tu te fous de ma gueule ou tu prends le métro…t’as pas une gauloise bleue ?… »

 Puis un jour, après un mois de vacances passé avec les résidents du foyer en Bretagne, on a tenté le pari de venir vivre au milieu des autres... Le pari de s’apprivoiser, de t’y offrir malgré ton rapport au monde sans doute si chaotique, si loin de nos réalités concrètes et quotidiennes, un lieu pour vivre.

Je repense à Suzanna, une éducatrice argentine par ailleurs psychanalyste qui en partageant ta vie a compris quelques clés qui nous ont tous bien aidé à t’accompagner et à te rencontrer, et mieux comprendre ton langage…parfois si furtivement.

Un cadre de vie comme tout le monde, structuré et ritualisé, stable malgré les tempêtes quand tu étais en plein chaos où la permanence, la bienveillance et la stabilité des soins de chacun t’ont permis de te construire un environnement suffisamment sécurisant pour t’y épanouir, t’apaiser et créer de plus en plus de ponts et même de vrais liens avec les autres résidents et les éducateurs

Tu étais si tyrannique parfois avec les éducateurs et les éducatrices que tu avais particulièrement investis et choisis…

Ton regard si troublant dans ce bleu d’azur pur de tes yeux, et si glaçant et perdu quand tu étais égarée et ne pouvais plus que crier de façon si déchirante et continue pendant des heures…

Quelle alchimie mystérieuse. Quel étonnant parcours !

Tu as su protéger ton espace psychique parfois si difficile à approcher…mais à chaque initiative de ta part…Quelle rencontre !

On a aussi beaucoup ri, tu avais beaucoup d’humour !

En 40 ans de temps il s’en est passé des évènements. Avec tes parents aussi, des débuts pour s’ajuster, puis des alliés précieux et beaucoup de réconciliations entre vous…

Puis leur vieillissement, ce lien que nous avons essayé de préserver et d’accompagner au mieux et leur disparition où tu as été à chaque fois attentive et présente. Puis le relai pris par ta sœur…

Tu as traversé aussi bien des épreuves, des blessures qui nous auraient fait tant souffrir, mais toi, si on avait pas cette attention particulière, on pouvait ne pas les voir… une cheville brisée sur les plages de Sanary sur mer une année, t’obligeant à l’opération et l’immobilisation, plus tard une fracture du fémur…et dernièrement cette traversée de la maladie avec le cancer du larynx où tous nous avons cru te perdre ! Toi si difficile à approcher, à toucher, lorsque tu étais malade ou hospitalisée, tu semblais alors si docile et résignée…

Le cancer n’a pas eu raison de toi !

Certes tu en as perdu la voix mais tu as pu continuer de vivre avec cette force qui nous étonne et l’équipe du foyer de vie et du service Habitat avec les soignants ont pu continuer à communiquer avec toi…

Ta dernière étape au FAM de Villeneuve où tu t’es si bien installée…

Alors aujourd’hui ton cœur de battre s’est arrêté et on ne pourra pas se rassembler comme c’est la tradition pour un dernier adieu, alors, on va le faire chacun à sa façon en attendant.

Et je ne peux que penser à l’histoire du petit prince  de Saint Exupéry, quand il dit adieu…

« Cette nuit-là, je ne le vis pas se mettre en route. Il s'était évadé sans bruit. Quand je réussis à le rejoindre, il marchait, décidé, d'un pas rapide. Il me dit seulement :- Ah ! Tu es là ...Et il me prit par la main. Mais il se tourmenta encore :- Tu as eu tort. Tu auras de la peine. J'aurai l'air d'être mort, mais ce ne sera pas vrai... Moi, je me taisais.- Tu comprends. C'est trop loin. Je ne peux pas emporter ce corps-là. C'est trop lourd. Moi, je me taisais.- Mais ce sera comme une vieille écorce abandonnée. Ce n'est pas triste les vieilles écorces. »

Merci Léna d’avoir su éclairer nos vies et nous rappeler souvent à notre humilité.

 

Ariane Vienney

 

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