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L’inclus de la société libérale • Un sujet en souffrance ?

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L’inclus de la société libérale • Un sujet en souffrance ?

Région :

Un colis en souffrance mis à la consigne attend sur une étagère qu’il soit pris en compte et orienté vers sa destination. Sans doute, le double clic sur le QR code n’a pas permis qu’apparaisse l’adresse : une déchirure, une tâche peuvent en empêcher la lecture.

Quand il y en a trop, on les stocke dans un hangar ou un réduit, à l’écart, dans une zone industrielle pour les mettre un jour en vente à l’encan dans quelque marché parallèle. Dans la société libérale, le stockage a lui aussi un coût…

C’est encore ce qui se passe pour les « retours », les invendus traités en amas-zone.

 

Notre société n’est pas une multinationale et avant sa dérive néo libérale, elle avait su trouver des solutions pour les âmes errantes, les êtres en souffrance : la main secourable de l’institution leur avait offert des havres de paix relative en attendant, pour les plus autonomes ou les plus apaisés de nouer ou renouer avec le monde.

Bien sûr, les places ont toujours manqué mais l’agencement entre intérieur protecteur et extérieur comme lieu possible d’émancipation avait tenu et s’était montré utile et respectueux.

Las ! la prise en charge a un coût, elle aussi, et la société d’aujourd’hui se veut égalitaire et inclusive. Il y a donc lieu d’adopter une politique sociale plus déterminée pour favoriser l’installation des résidents dans un chez soi intégré, voire si possible un emploi « en milieu ordinaire ».

 

Je viens de finir un roman de Louise Erdrich : Celui qui veille (Louise ERDRICH, Celui qui veille, Prix Pulitzer, Albin Michel, 2022). Dans ce livre qui s’appuie sur des faits historiques, il est question de la « terminaison » des Indiens souhaitée par le Congrès des États-Unis en 1953.

« La traduction du terme termination ne va pas de soi. Le mot relève de la politique visant à « assimiler » les Indiens et désigne plus particulièrement l’idée de mettre un terme à la relation particulière entre le gouvernement fédéral et les tribus, c’est-à-dire de supprimer les tribus comme entités collectives, chaque membre étant appelé à devenir, en tant qu’individu, un citoyen américain à part entière, avec les droits et obligations afférents. »

Rappelons que les Indiens ne furent consultés qu’après l’adoption de ce texte. « Cette politique permettait notamment de mettre fin aux aides fédérales sans aucune contrepartie matérielle, et sans que jamais les Indiens aient réellement reçu les moyens de leur autonomie. »

L’enjeu économique sous-jacent consistait à se saisir de leurs biens.

 

L’histoire du Far West ne nous concerne pas, rien de tribal ni de trivial dans la mise en perspective de l’assimilation des Indiens et de l’inclusion des personnes en disjonction sociétale.

Chez nous, bien entendu, ces personnes sont citoyennes à part entière et sont investies de leurs droits. A priori, on ne leur prend rien, on ne les prive de rien, au contraire, on leur offre le monde et on est même sensé s’enquérir de leur avis. Disons tout de même que la nouvelle politique qui préside à leur destin leur échappe. Quelque part, elles n’ont rien demandé. Jusque- là, seules celles qui en avaient fait la demande tentaient l’aventure de l’extérieur et de l’émancipation. Les autres semblaient se satisfaire de leur condition et pouvaient avoir le sentiment, de leur place assignée à l’intérieur, d’être incluses dans ce grand tout, protégées des embruns.

 

Je lisais dans le journal SUD OUEST du 8 Janvier 2023 l’aventure d’une famille profitant de la rencontre avec une élue locale par ailleurs membre du gouvernement pour lui soumettre sa demande d’une place pour leur fille en situation de handicap. Le père dans l’interview rapporte les propos de la ministre : « Si l’ouverture d’instituts médico-éducatifs ne semble pas être une perspective, la ministre a évoqué l’idée d’intégrer les IME dans les écoles. Le but est que les enfants puissent sortir de leur bulle d’handicapés et puissent se socialiser davantage » et le père d’ajouter : « c’est une bonne idée, mais c’est un projet à long terme. Pour les 30 000 personnes qui attendent aujourd’hui d’intégrer un institut, on fait quoi en attendant ? » Dans cet exemple, la demande de la famille semble être celle d’une prise en charge, celle de la jeune personne en question, on ne la connaît pas… est- elle en souffrance ?

 

Mais revenons à nos Indiens. Le livre nous dit (et la réalité soutient la fiction) que les tribus tentaient en s’unissant de se défendre contre ce destin fabriqué. Il nous fait part encore des conditions effroyables des « assimilés » en question, quittant leur réserve pour les bas- quartiers des cités.

Encore une fois, la réalité sociale des personnes que les services dédiés accompagnent dans le milieu qualifié d’« ordinaire » (même si elle ne revêt pas la misère des années cinquante décrite dans le livre) est bien souvent et précisément extra - ordinaire tant les embûches sont courantes. Ces « volontaires de l’inclusion » doivent faire preuve d’une grande détermination vis-à-vis d’un environnement guère empressé, quand il n’est pas hostile. Les plus aguerris y réussissent…

 

Vouloir élargir l’offre au-delà de la demande dans une démarche de grande envergure comme cela se décide aujourd’hui n’est pas sans risques et plaider la libre adhésion ou l’auto détermination ne suffit pas.

Forcer le désir en contrefaisant le besoin peut amener le naïf à faire des choix au-delà de ses aptitudes. Il y a de la violence à nier la fragilité d’un être : pas si sûr que le « handicapé » de l’article sorte de sa « bulle » pour éclore magiquement dans son nouvel environnement plein de promesses.

 

Face à cette assignation sociétale et politique à produire de l’inclusion, il faudrait que les acteurs concernés, état, collectivités, familles, associations et travailleurs sociaux assument chacun leur rôle et déploient les moyens nécessaires pour mener à bien cette tâche collective. Il faudrait encore (mais auront-ils la possibilité de le réaliser) que les personnes concernées du fait de leur handicap constituassent leur propre mode de défense. La formation des personnes à l’autodétermination est encore lacunaire et peu développée dans les institutions. L’accueil qui leur est réservé à l’extérieur repose sur le bon vouloir de la société et s’impose plus souvent par la loi et les décisions administratives que par un enthousiasme de bon aloi. La question des moyens fait déjà débat et ce qui se trame dans le médico-social n’est pas sans nous rappeler ce qui s’est passé dans le domaine du soin.

Les services d’accompagnement appelés (parmi d’autres acteurs) à exécuter cette nouvelle politique ne seront pas en mesure de répondre aux besoins des moins autonomes.

 

Les formules d’hébergements inclusifs qui vont alors se développer garderont-elles les moyens précédents ou pensera-t-on que la sortie équivaut à l’autonomie et que, par conséquent, à cet endroit, une économie substantielle peut être réalisée ?

Il est à craindre que, dans le calcul de ces formules, dans l’arbitrage de leur calibrage selon un chiffrage sans doute au rabot, conjugué à la démesure du projet politique (100% inclusif), un lot de souffrance et de laissés pour compte viennent ternir le faux idéal d’une société devenue elle-même inclusive.

 

Yves CORMIER, Administrateur du MAIS 

Directeur de Service à la retraite 

3 Janvier 2023

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