Pour ne pas laisser SERAFIN « dissoudre » le travail social !
Notre association, MAIS (Mouvement pour l’Accompagnement et l’Insertion Sociale) s’inquiète de ce qui se profile dans les secteurs du social et du médico-social. La lecture d’articles parus dans les périodiques spécialisés, et plus particulièrement ceux réservés aux personnels d’encadrement, nous annonçait, il y a peu, un changement d’ère avec son cortège de nouveaux modèles d’action, de nouveaux cadres d’intervention, de dispositifs inédits : paroles d’experts, propos de technocrates, déclarations de consultants, il s’agirait d’une véritable « révolution copernico-galiléenne... » !
Faudrait-il entendre cette affirmation comme une innovation fondamentale, une transformation radicale impliquant un véritable renversement des pratiques ?
INtroduction
La démarche est engagée depuis quelques temps, au nom de l’équité, de la promotion des parcours et, plus globalement, de l’amélioration des modalités de l’intervention auprès des personnes en situation de handicap.
Par la promotion de la réforme du financement des établissements et services médico-sociaux, nos modèles de référence actuels, nos systèmes de représentation, appartiendraient ainsi à l’« ancien monde » et imposeraient un changement de paradigme...
Faut-il comprendre que les intervenants sociaux seront amenés à faire bouger leurs lignes conceptuelles et auront à adopter de nouvelles postures professionnelles ?
Pour notre Mouvement, notre résolution est, depuis longtemps, clairement énoncée :
respecter ce qui compte pour les personnes concernées par l’accompagnement social tout en mettant en pratique ce qui importe pour les équipes de professionnels.
Ce qui a comptÉ et qui compte encore pour les personnes accompagnÉes
L’ambition centrale qui a motivé la structuration de notre Mouvement fut d’énoncer, au préalable à toute action, que chaque situation se définit comme singulière et appelle une réponse aussi particulière que possible, la personne accompagnée étant le centre de gravité de toute action.
L’intervention se doit de considérer les impératifs suivants.
- Créer les conditions pour établir une relation de confiance et entretenir cette relation.
- Établir une relation de réciprocité (telle que chacun apporte à l’autre...).
- Veiller au respect de la libre-adhésion, du consentement éclairé...
- Prendre le temps, tout en respectant le rythme et la temporalité de la personne.
- Adapter les moyens nécessaires pour mettre en œuvre un projet (compréhension et exploration des principaux déterminants d’un changement possible : se supporter, supporter l’autre, vivre en société, dans son logement, dans sa famille, dans son emploi, dans sa relation à l’autre...).
- Orienter vers le droit commun avant toute orientation spécialisée.
- Permettre aux personnes de s’exercer à prendre des risques, de comprendre et d’analyser ses erreurs...
- Présenter un cadre suffisamment rassurant pour que les personnes accompagnées puissent découvrir et exprimer leurs aspirations.
L’accompagnement social tel que notre Mouvement le défend a priorisé l’importance de l’acte éducatif par la relation, le respect de la parole, une attitude bienveillante, une écoute attentive.
Ce type d’accompagnement requiert aussi une précaution accrue à découvrir, entretenir et développer l’estime de soi.
Les personnes concernées par l’intervention sociale vivent une fracture sociale, psychologique, humaine, et attendent que des liens se tissent, des passerelles se jettent pour prendre ou reprendre pied. Trouver sa place dans la société, reprendre confiance ! Comment, selon les situations se concilier ou se réconcilier avec son environnement : voilà l’enjeu !
Le partage des expériences professionnelles vécues sur le terrain, et l’analyse collective (en équipe) de celles-ci, nous ont permis de forger notre conviction du primat de l’expression des personnes et leur capacité à décider pour elles-mêmes, lorsque cela est possible. Elles nous ont permis de les comprendre et d’appréhender ce que leurs difficultés occasionnent comme conséquences dans leur vie quotidienne. Elles nous ont également permis de comprendre et d’ajuster nos attitudes et postures professionnelles.
Elles nous ont montré tout autant leurs facultés à découvrir ou retrouver les conditions sociales et culturelles du vivre ensemble !
Ce qui a comptÉ et compte pour les Équipes de professionnels
Au gré des évolutions législatives, depuis la loi d’orientation de 1975, certaines associations et de nombreuses équipes ont montré leurs capacités d’adaptation. Les professionnels ont su évoluer, « muter »... et se renouveler. Notre Mouvement a soutenu, et soutient toujours, la nécessité d’inverser la hiérarchie de la norme : à savoir que l’on peut vivre en milieu ordinaire, hors les murs de l’institution, en adaptant les soutiens à chaque personne et proposant « les prothèses sociales » nécessaires à chaque situation.
Il revient aux intervenants sociaux et aux équipes de s’adapter aux aspirations des personnes et non l’inverse...
Pour nous c’est encore une évidence.
Les services se réclamant de ce type d’accompagnement (SAVS, SAMSAH ...) ont été novateurs, sans parfois attendre les injonctions et les préconisations administratives pour élaborer des actions et mettre en œuvre des réponses adaptées aux ambitions des personnes concernées. Dans cette démarche et cette stratégie proactives, ils ont aussi élargi le spectre des interventions au profit des personnes en souffrance psychique en construisant des partenariats (logement, travail en milieu ordinaire, services de psychiatrie).
D’emblée, nous avons tourné le dos à une assignation des individus à l’ordre social établi pour défendre la voie de leur émancipation: libre adhésion, consentement éclairé... les mots clés de la construction interactive d’un cheminement personnalisé.
Cette attitude professionnelle requiert le préalable d’appréhender chaque situation dans sa globalité.
Écouter, entendre les souffrances, les aspirations, accompagner le quotidien... Décrypter les silences, les dénis... Cheminer au fil des jours, des errances aux grés des rencontres, faisant face aux aléas, aux blocages et autres « régressions »... mais aussi constater les avancées, les progressions, respecter les choix, et, conscients de nos incertitudes, accepter ce qui nous échappe.
Cette approche de l’accompagnement social s’est donc forgée à partir d’une démarche empirique, appliquant une méthode hypothético-déductive dans un aller-retour.
- En premier lieu, l’observation des pathologies psycho-sociales, des problématiques liées aux troubles psychiques et leurs conséquences dans la vie quotidienne.
- En seconde intention, l’analyse méthodologique collective de l’intervention sociale, ses effets et ses limites.
Ramenée au niveau de la personne, dans le cadre d’une rencontre particulière, la pratique demande des réponses tout aussi singulières et personnalisées. Pour les intervenants, il s’agit, dans le respect des choix de chacun, autour de son projet, de promouvoir une démarche clinique : cheminer avec, auprès de, au cas par cas, au jour le jour....
Cette posture expérientielle professionnelle, alliant observation personnelle du réel et le construit collectif, garantit une légitimité dans nos fonctions d’intervenant social.
Ce qui comptera pour le MAIS
Comme nous l’avons soutenu depuis de nombreuses années, il s’agit de veiller à mieux accueillir, à mieux accompagner. Si cette philosophie générale rallie un large consensus, les modalités et les logiques pour y parvenir diffèrent très largement.
L’idéologie technocratique véhiculée par le discours des experts (rapports, études...), relayée vigoureusement par des gestionnaires assidus, tourne radicalement le dos à la démarche professionnelle que nous soutenons. Ce n’est plus l’homme qui intéresse mais ses besoins... !
On voit comment le modèle économique ambiant et son discours libéral, le développement des logiques comptables et les structures technocratiques contribuent à « délégitimer » notre pratique professionnelle.
Les politiques sociales en chantier et les perspectives qu’elles laissent augurer s’avèrent tout à fait emblématiques de l’idéal qui circule dans notre modernité́ et de la rhétorique qui disqualifie l’accompagnement social et le lien de parole.
On dévalue le travail social tout en déqualifiant ses acteurs. L’intervention sociale pourrait prendre la forme d’une transaction, une opération instantanée d’achat/vente (besoin/prestation) d’un objet-solution sans nouage du lien, hors la relation humaine.
L’offre (prestation), d’une rationalité libérale, se pare d’une objectivité scientifique au regard des nomenclatures, des standards, en imposant des modèles prédictifs. Cette réponse technique à un besoin humain relègue les intervenants sociaux dans le camp des exécutants...
La position hégémonique des experts impose, au nom d’un éclairage scientifique, une injonction à répondre automatiquement, en référence aux nomenclatures, elles -mêmes définies dans le but de « réduire l’écart à la norme ».
À chaque problème sa solution !
Le parcours est présenté sous une forme idéalisée, organisée, technique, prédictible.
Né du rapport Piveteau, repris dans d’autres travaux d’experts, l’idée de la réponse-parcours se décline dans une profusion de dispositifs : plateformes de services, RAPT, PCPE, PAG, Référent de Parcours, et autres GOS... les mécanismes magiques d’un univers préconstruit.
Il semble donc que le parcours soit en l’occurrence le levier essentiel de ces futures avancées.
Dans nos accompagnements sur le terrain, le parcours d’une vie est avant tout un cheminement que chaque personne peut emprunter, mais doit construire. Un itinéraire qui s’élabore au gré des étapes, des ruptures, des retours... tout cela prend du temps et personne ne peut en fixer les échéances.
À l’époque où l’usager est invité à retrouver le pouvoir sur son avenir (« empowerment », auto-détermination...), où constamment il est souhaité qu’il soit au centre du dispositif, c’est un paradoxe que d’imposer des itinéraires programmés par une autorité administrative.
Que deviennent choix et consentement éclairés dans les nomenclatures présentées dans le projet SERAFIN-PH, dans cette volonté de sélectionner des « parcours-types » en fonction de l’énoncé (nomenclatures) des besoins, en lien avec des prestations prédéfinies, et bientôt tarifées ?
Nous passerions ainsi d’une obligation de moyens à celle de résultats... puis de mesure des résultats… déclenchant à terme, dans le meilleur des cas, un nouveau financement, de nouveaux moyens : une boucle vertueuse, si l’on veut, d’un point de vue économique, mais qui peut également se nouer du côté de la performance, voire tomber dans la « quantophrénie » !
Le travail d’accompagnement social serait donc en train de muter, comme depuis plus de trente ans le travail social. Le handicapé s’inscrivait dans la solidarité, aujourd’hui l’usager du social a ses droits et ses devoirs (il signe un contrat) : dans le monde libéral de l’entreprise, au nom de la rentabilité, on peut toujours choisir ses clients…
Que devient, alors, l’acte éducatif, qu’en est-il de la rencontre humaine au quotidien avec les personnes en difficulté ?
« Pour les technocrates s’occuper du quotidien, c’est du temps perdu », disait Jean Oury.
Au-delà de cette révolution supposée par les nouveaux dispositifs, les nouvelles procédures, une incidence sérieuse sur nos pratiques doit être relevée. Il s’agit là des nouvelles formes d’organisation qui peuvent conduire l’intervention sociale à se scinder entre deux types de fonctions.
- Des fonctions « nobles », à haut statut conventionnel (Niveau II validé par la CPC), dont l’activité constituerait à piloter les projets, orchestrer le réseau d’intervenants et disposer d’une charge hiérarchique de coordination (référent de parcours, « case-manager », gestionnaire de dossiers...). Une fonction hors-sol ?
- Des fonctions « domestiques », dont l’activité répondrait aux préconisations du prescripteur circonscrites aux nomenclatures standardisées relatives aux besoins !
Dans un tel dispositif de « déqualification professionnelle », moins onéreux de fait, mais tellement technique et déshumanisé, que restera-t-il de l’acte éducatif, que restera-t-il de la clinique en travail social ?
Quelle légitimité expérientielle pourrions-nous revendiquer, si les travailleurs sociaux doivent se départir du primat de la relation, cœur de notre métier ? Autant de questions que les équipes se posent.
En guise de conclusion
À l’occasion de cette réforme SERAFIN-PH - pour une adéquation des financements aux parcours des personnes en situation de handicap - il serait souhaitable qu’elle puisse se mener en concordance avec les professionnels de l’accompagnement. Il appartient donc aux équipes :
- de mettre en avant leur savoir-faire pour créer les conditions de l’émergence des demandes des personnes ;
- de faire en sorte que les « projets personnalisés » à venir prennent en compte ces demandes initiales puis, fassent l’objet d’un travail d’élaboration commun vers la prise de conscience de nouveaux besoins ;
- de défendre les conditions de mise en œuvre des actions à mener en fonction du projet de service, de ce que ce projet définit en termes de prestations, de déontologie.
L’idéal étant, bien sûr, que ce projet de service adopte les éléments réglementaires qui le concernent, mais qu’il soit le fruit du travail d’élaboration de l’équipe autour de valeurs humanistes et de principes partagés.
Roger Drouet, Président du MAIS
Article publié dans les Cahiers de l'Actif
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