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Témoignage #3 : Du travail social à un emploi de siccité

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Témoignage #3 : Du travail social à un emploi de siccité

Région :
Tout comme les collègues du secteur du médical, les travailleurs sociaux sont eux aussi en première ligne dans cette crise du covid-19 . Nous savons que les établissements médico-sociaux qui accueillent des publics vulnérables se retrouvent souvent dans des situations délicates quant à l’accompagnement de ces publics. Le M.A.I.S souhaite donc vous exprimer tout son soutien dans cette crise et vous enjoindre à prendre soin de vous, de vos collègues et de vos proches.
Afin de vous donner une voix et un espace d’expression, à vous, professionnels du terrain en ces temps compliqués, nous vous invitons à nous envoyer vos témoignages que nous relaierons sur nos différents réseaux. Racontez-nous votre quotidien et la conséquence de cette crise sur votre travail, les moyens dont vous disposez et ce que vous avez réussi à inventer pour continuer à fonctionner.
 
Témoignage #3 : Du travail social à un emploi de siccité

 

Les dernières décennies ont marqué un tournant dans la réponse des associations aux problématiques sociales pour lesquelles elles sont financées. Dans ce secteur, parler d’une association militante n’est plus un pléonasme. Cette structure juridique n’indique plus dans le champ social une capacité à apporter des réponses agiles, à expérimenter des actions innovantes, évaluées et évolutives, en s’inspirant des observations de terrain, pour être force de propositions.

Le prisme de la lecture des besoins de prises en charge sociales s’est inversé ; désormais, les orientations sont centralisées, les experts nationaux donnent le cadre, les interlocuteurs locaux contiennent les dépenses, et au bout du bout du bout de la chaîne se trouvent les professionnels, peu consultés, même en interne, par leurs organisations.

La loi 2002.2 est venue renforcer cela ; l’évaluation interne et externe mettent le focus sur les critères et indicateurs, en verrouillant la réflexion plus large sur le sens de la prise en charge. Ces référentiels imposés, réglementés, souvent détournés car le réel n’y trouve pas sa place, amènent insidieusement dans le champ de la rencontre celui d’une logique marchande. De fait, des sociétés financières répondent désormais aux appels d’offre de missions sociales.

Loin de se démarquer par son histoire et ses valeurs en premier lieu intrinsèquement d’économie sociale et solidaire, les associations se sont structurées et positionnées à l’aune du secteur marchand avec lequel elles sont désormais en compétition.

Après s’être érigée en haut de la pyramide, les directions générales ont décidé des orientations associatives avec les Conseil d’Administration, loin de l’évaluation de terrain de leurs professionnels.

Comme dans le secteur marchand, les associations de l’action sociale choisissent aussi d’externaliser des missions, entretien, support RH, paie, ce qui accroit notamment le sentiment de deshumanisation en interne.

Les directions générales communiquent aux élus de leur structure, par voie légale -CSE-. Les cadres intermédiaires sont parfois le seul rouage de communication entre l’association et le professionnel de terrain, ils redescendent des informations qui leur sont données à cette fin, sans avoir toujours tous les éléments, ni la réponse aux questions que viennent soulever ces nouvelles déclarations. Leurs rôles sont surtout de la régulation, la gestion des autorisations administratives du salarié, valider une absence ou un dépassement d’horaire par logiciel interposé. En d’autres termes, leur fonction est de faire écran à une direction plus large, à marquer la césure entre l’action ici et maintenant et la gestion du service sur le mode budgétaire, ressource humaine, partenariat, appel d’offre … dont les équipes seront informées à postériori. En les reléguant à des fonctions d’exécution, cette posture managériale accélère le désengagement des équipes, la non-reconnaissance de leur analyse, voire la déqualification. Cela vient percuter l’identité professionnelle, déjà mise à mal par les dernières réformes de formation.

Dans ce contexte empreint de scissions et de mises à distance, les associations peinent à pacifier le dialogue social, et à mobiliser sur des thématiques transversales. Elles tentent parfois de retrouver un cap et des modalités d’action communs, peuvent mettre en avant un management dit participatif. Les professionnels, qui ont alerté sur le décalage entre la demande institutionnelle ou politique et la réalité du terrain, qui ont relevé la contradiction entre la fin et les moyens, ont du mal à s’inscrire dans une démarche qu’ils pourraient vivre comme une soumission de leurs désirs à ceux de leurs dirigeants (F. LORDON, 2014).

Les directions ont longtemps été sourdes aux alertes de leurs équipes de terrain, à leur mobilisation et leurs connaissances. Cette fin de non-recevoir réitérée a précipité la dévalorisation professionnelle, voire la désorientation, dans un contexte économique par ailleurs tendu.

Les postes eux-mêmes tendent à une déqualification, ceux d’éducateurs spécialisés deviennent AMP ou CESF selon les missions, pour des grilles de salaire inférieur, peut-être aussi pour une identité professionnelle différente. En effet, cette politique du moins coûtant ne masque pas la volonté du secteur social à recruter selon des compétences plus que des qualifications, ce qui dépossède le métier, ses réglementations et protections qui en découlent.

Dans cette longue introduction, un mot enfin sur les conditions de travail. Les espaces où l’on reçoit sont standardisés, impersonnels, bureaux de permanence qui doivent être réservés, anticipés, rendant difficile la mise en place de micro-traces d’hospitalité (D. PUAUD, 2012), et impossible l’accueil spontané.

Les espaces où l’on ne reçoit pas sont ouverts, à la vue, aux oreilles, appels téléphoniques passés dans un open-space où travaillent des professionnels de l’action sociale, des chargés de missions, des gestionnaires locatifs, une comptable, un secrétaire, un commercial … certes, chacun a un devoir de réserve, de discrétion. Il est à minima inconfortable d’échanger, dans le cadre réglementé du travailleur social en présence d’autres professionnels, des informations sensibles sur la situation des personnes accueillies, en termes de santé, de difficultés familiales ou financières.

Quant aux moyens liés aux missions, les travailleurs sociaux se retrouvent dans une réponse pas toujours digne face aux problématiques repérées, où le nombre de dossiers justifie le poste, où le sens du travail n’est pas interrogé, où le fait de bénéficier d’une prise en charge financée par l’Etat ne garantit pas que les besoins de première nécessité soient couverts : que ce soit le toit, la nourriture, les soins, sans parler du regroupement familial. Et où enfin les prises en charge sont séquencées, et peuvent trouver un terme sans relais possible. Les personnes accueillies ne sont effectivement plus des bénéficiaires de l’aide sociale, tout juste des usagers, dont les droits ne sont toujours pas protégés.

A l’aune des autres fantassins de la société -enseignants, soignants … -, les « fantassins du social » -P. Bourdieu- sont contenus dans des missions étroites et stériles sur le plan sociétal. Le sens du travail social est terni ; si l’on exclut la rencontre entre deux sujets, il ne reste plus qu’un emploi de siccité soutenu par un discours sophiste. 

La société a valorisé le travail de bureau et dénigré celui de la terre, a embelli la vie urbaine et a dénigré celle à la campagne, encouragé la surconsommation individuelle en renforçant le côté sécuritaire (C. DEJOUR, 2010). La confiance humaniste a vacillé, les décisions sont depuis prises par des cabinets d’experts.

A la lumière de divers scandales, d’abus de pouvoir, la confiance de chacun dans la sphère politique est malmenée, sans être relayée par les syndicats qui eux-aussi se sont coupés de leurs bases, voire de leurs adhérents. L’individualisme de masse perdure. Le lien social est de moins en moins favorisé par des missions de travail social. Les gestionnaires d’associations d’action sociale s’asphyxient entre leurs relations aux tutelles qui ne les consultent plus, et les tensions en interne où l’échange est vicié, les professionnels en souffrance. La société s’appauvrit dans la standardisation des réponses sociales envisagées et de la non-reconnaissance de l’expertise de acteurs du social.

Et puis le COVID 19 est arrivé …

Les directions reviennent vers leurs salariés, au besoin en leur rappelant qu’ils sont payés pour ça, afin que les missions se tiennent coûte que coûte, comme l’a dit justement E. Macron. Coûte que coûte. Et les travailleurs sociaux, sans protection, se retrouvent donc à assurer leur mission, car les directions, tiraillées entre répondre au pacte avec les tutelles et protéger leurs salariés, s’en sortent avec une côte très mal taillée … Avec un flou juridique sur les statuts : télétravail, mise à disposition …  Donnons l’exemple où les services ayant en charge de l’hébergement maintiennent des permanences, avec possible installation dans les logements. Ils manipulent des documents, remettent des colis, donnent le courrier, s’assurent que chacun ait ses devoirs … Face à une mise en route facile de ces contraintes pourtant incroyables sur le plan sanitaire, l’exigence des directions augmente : les missions s’étendent au suivi de publics malades du COVID 19, car les hébergements proposés sont des appartements diffus, et que les personnes malades en structure collective devront être isolées. Pas de consultation avec les salariés en 1ère ligne, pas de précaution.

Si les instances syndicales alertent régulièrement les présidences et directeurs généraux, il semble évident que le droit de retrait s’imposera de lui-même dans cette course partiale d’obéissance aux financeurs.

                                                                                                                                                            

Sam Rendingue, Assistante sociale

Commentaires ( 2 )

Merci pour ce texte ! Toute cette réflexion est l'exacte reflet de ce que je vis au quotidien dans un SAVS rattaché à la Fonction Publique Hospitalière.
Ces 2 mois de confinement ont replacé les "fantassins" au devant. Les dirigeants les laissant faire. Eux-même dépourvus de directives juridiques et ne connaissant pas nos métiers : l'urgence sanitaire a eu raison de leurs compétences. A nous de répondre aux personnes accompagnées et de faire avec les moyens du bord. Notre directeur était fier de dire que lui aussi avait fait un travail de main-d'oeuvre en venant remplacer les travailleurs de l'ESAT.... pour maintenir l'activité et perdre moins de bénéfices...
J'ai cru que l'humain revenait. Je me suis trompée. Dès l'annonce du confinement il nous a été demandé de reprendre de "manière dégradée". Le mot était bien trouvé : aucun moyen de protection au service, si ce n'est la demande de privilégier les VAD et les accompagnements extérieurs. Les produits ont été fait maison ou achetés pas notre CSE. Puis sont venus les discours bien écrits, les protocoles et autres injonctions.
Bon courage à tous

En réponse à par Jean Neymar (non vérifié)

il serait quand même intéressant de trouver des moyens pour engager une étude sur ces dérives ... à la croisée du droit du travail et des valeurs associatives. Je ne trouve pas grand chose dans ce domaine, et reste volontaire pour m'y coller ! :)

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